Il y a quelques années, lors d’un de mes retours de Minsk, j’avais lu “Un héros de notre temps” de Lermontov. Le train filait sur un paysage de plaines et les montagnes du Caucase apparaissaient en surimpression, comme au cinéma par ce procédé appelé “fondu enchaîné”. Petchorine est le protagoniste principal de ce roman, erre dans le Caucase, sans se départir d’un “linge blanc éblouissant” sous une veste de velours poussiéreuse. Naturellement, je me suis attaché à ce personnage tragique, ambigu, à son romantisme, à son élégance, à sa quête, aux montagnes du Caucase. En 2010, des circonstances particulières, un chagrin d’amour, m’ont poussé à vouloir vagabonder dans ces montagnes.
Le Caucase est une zone de tension entre l’univers complexe de la Fédération de Russie et l’Occident, d’enjeux géostratégiques liés aux hydrocarbures et à une tentative d’islamisation radicale de la mosaïque de petites républiques du Nord. Finalement, rien ne semble fondamentalement changer dans cette région, les paysages, d’une beauté époustouflante, portent en eux un drame imminent, les frontières fascinent, les différents peuples ont une identité forte, la présence militaire est constante, l’enlèvement est une pratique commerciale courante, les attentats sont fréquents… tout cela prodigue des poussées d’adrénaline, pareilles à celles que Petchorine devait ressentir au XIXe siècle.
Adyguée, Karashaïevo-Tcherkessie, Abkazie, Kabardino-Balkarie, Ossétie du Nord, Ossétie du Sud, Géorgie, Ingouchie, Tchétchénie, Daguestan sont les noms des différentes républiques où je me suis rendu à six reprises en deux années. Je n’avais pas de but particulier, simplement vivre, tenter de me perdre, errer, écrire des lettres, me questionner sur le romantisme au XXIe siècle, me livrer à la contemplation des paysages, goûter l’air rare des sommets, produire des liens entre ces républiques au-delà des frontières créées par le pouvoir et les religions, me laisser aller à la beauté de la rencontre avec ces frères humains qui m’ont beaucoup impressionné.
Oui, comme dans le poème de Lermontov: “j’aime le Caucase”.