
La France et l’Europe de la fin du XIXe siècle est obsédée par la question du vagabondage, par les sans-papiers qui errent d’une ville à l’autre. La fugue devient un trouble médical avec un diagnostic précis. Albert Dadas (1860 – 1907) est l’une des premières personnes atteintes d’automatisme ambulatoire, aussi nommée dromomanie. Son médecin, le docteur Philippe Tissier va poser le diagnostic de sa folie dans sa thèse intitulée « les aliénés voyageurs ».
Albert Dadas, un modeste employé du gaz à Bordeaux, va faire des fugues qui dureront de plusieurs jours à plusieurs années, en perdant à la fois ses papiers et son identité, mais jamais sa pulsion de partir, de marcher, de découvrir. Certains prétendront qu’il est un simulateur.
Je me suis attaché à ce personnage, nous avons des points communs, un traumatisme crânien, une mémoire défaillante, de grands maux de tête, nous pleurons vite, des poussées mélancoliques, le goût du voyage et des grands espaces, l’errance à tout prix, l’attirance pour le nord-est, le sens de la propreté vestimentaire, un rapport spéci que à Liège, le besoin irrésistible d’aller dans une ville dont le nom nous plaît, etc.
Aussi, j’ai éprouvé très vite la nécessité de réaliser un double projet lié à sa grande fugue de 1880/1882. Elle le mènera de Valenciennes à Moscou en passant par Liège, Cologne, Kassel, Linz, Vienne, Prague, Berlin, Varsovie, Minsk. À Moscou, il est soupçonné d’être un anarchiste et emprisonné avant d’être expulsé de Russie avec d’autres prisonniers. Il se déplace ensuite à Istanbul avant de ler à Vienne, Munich, Strasbourg pour arriver en Suisse. Épuisé, il se rend à Bâle où il se constitue prisonnier auprès du consulat de France. À Lille, il sera condamné à trois ans de travaux publics pour désertion avec effets et armes. « Je suis parti parce que mes camarades me faisaient trop de misères », avait-il déclaré lors de son interrogatoire (combien de fois n’ai-je pas eu cette idée les dimanches soirs lors de mes années au collège et, ensuite, lors de mon service militaire et encore plus tard lorsque j’ai eu un travail régulier pendant onze années). J’ajoute que j’aime l’idée de refaire le parcours d’un homme modeste.
Dans ce projet qui suit l’itinéraire de la grande fugue de 1880/1882, je m’identife à Albert Dadas. Je suis son fantôme et il est le mien, je suis dans le cadre, à la fois son acteur et le mien. Grâce à des temps de pause longs, de 30 secondes à plusieurs minutes, je capte des moments où la durée s’inscrit sur les pixels du capteur. À travers des mises en scène, nous nous incarnons donc, lui et moi, dans un hors temps universel. Des autoportraits, mais pas au sens strict, ce n’est à la fois ni moi ni lui. Ce sont nos apparitions ou nos disparitions.
France and Europe at the end of the XIXth century are obsessed by the issue of wandering, by undocumented people who roam from one city to another. Wandering impulsion becomes a medical disorder with a precise diagnosis. Albert Dadas (1860 – 1907) is one of the first persons suffering from sleep automatism, also called drapetomania. His doctor, Philippe Tissié, will diagnose his insanity in his thesis « the wandering insane ».
Albert Dadas, a modest gas worker in Bordeaux, will regularly run away for several days or several years, losing his documents as well as his identity, but never his urge to leave, to walk, to discover. Some will say that he is a pretender. I grew fond of this character, we have things in common : running away, a cranial trauma, defective memory, severe headaches, we weep easily, fits of melancholy, the taste for travelling and for wide open spaces, wandering at any cost, attraction to North East, a sense of clothing cleanliness, a specific link to Liège, the urge to go to a city whose name sounds pleasant to us, etc.
Therefore I very soon felt the necessity to make a double project relating to his long running away of 1880 – 1882. This will take him from Valenciennes to Moscow via Liège, Cologne, Kassel, Linz, Vienna, Prague, Berlin, Warsaw, Minsk. In Moscow, he is suspected of being an anarchist and is sent to jail before being expelled from Russia with other prisoners. He then moves to Istanbul before making off to Vienna, Munich, Strasbourg and then arrives in Switzerland. Exhausted, he goes to Basle where he gives himself up to the French consulate. In Lille, he will be convinced to three years public works for desertion with effects and weapons. « I left because my comrades tormented me too much » did he declare during his questioning (how many times have I had this idea on Sunday evenings during my college years and then during my military service and still later when I had a regular job during eleven years, at times running away, inventing diseases for myself). I add to this that I like the idea of retracing the route of a modest man.
In this project which follows the itinerary of the long run away of 1880 – 1882, I identify with Albert Dadas. I am his ghost and he is mine, I am within the frame, at the same time his actor and my own. Thanks to long break times, of 30 seconds to several minutes, I capture moments where duration is registered on the captor’s pixels. Through stage settings, we are embodied, he and I, in a universal « out of time ». Self portraits, but not in the strict sense of the word, it is neither me nor him. They are our appareances or our disappearances.





















